Présente-toi : qui es-tu ? d’où viens-tu ? Ton parcours ?
Je m’appelle Fanny Polly, je viens du Sud-Est de la France, dans le 06 (Alpes-Maritimes). Cela fait 6 ans maintenant que je suis à Paris. À la base, je suis venue à Paris pour mon parcours professionnel, puis c’est également ici que j’ai développé mon parcours artistique. J’ai d’abord commencé à faire de la danse hip-hop, j’étais prof de danse et je suis venue à Paris pour intégrer la Juste Debout School, une école de formation professionnelle de streetdance. Puis l’amour du rap m’a rattrapé. Je rappe depuis 15 ans mais c’était surtout dans ma chambre, le dimanche. J’ai toujours gratté des textes mais toujours en scred. Je me suis remise au rap plus sérieusement ces dernières années.
Qu’est ce qui a fait que tu t’es dis « je vais vraiment me mettre à rapper » ?
C’est Paris. Tout paraît possible à Paris. Artistiquement parlant, j’ai l’impression que c’est beaucoup plus facile. Mais c’est surtout grâce à mon école et ma formation qui m’ont beaucoup guidées vers ça, sans le vouloir. On avait des cours sur l’histoire du hip-hop, de la musique. Et je n’arrivais pas à retenir mes leçons, alors je me suis dit que le seul moyen que je les retienne c’est d’écrire des textes de rap. A la fin, je me suis retrouvée avec un cahier entier de textes sur l’histoire du hip-hop, il fallait que j’en fasse quelque chose ! On a alors décidé de monter un spectacle de danse autour de ces textes et j’ai fini par les rapper en live, sur scène. Après ça, je me suis donné un an pour faire quelque chose dans le rap et 3 mois plus tard je rencontrais la Scred Connexion.
L’origine de ton blaze : Fanny Polly ?
Fanny c’est mon vrai prénom et Polly c’est le surnom qu’on m’a donné dans le Sud quand j’étais plus jeune !
Comment s’est passé l’aventure Buzz Booster ?
C’était d’abord une surprise ! Parce que ce n’est pas moi qui me suis inscrite. J’ai découvert sur le tas, je ne connaissais pas du tout le concept. Mais j’aime l’idée de concours, de challenge. Je suis parti dans l’idée que j’allais apprendre des choses. J’ai été surprise du niveau des autres MCs. Mais aussi de la qualité, de l’investissement et de la bienveillance du jury. Par exemple, Vicelow m’a appelé après un passage sur scène pour me faire un retour sur ma prestation, me donner des conseils, c’est grave cool !
Et avec le public ?
Ça peut être parfois compliqué parce qu’en général dans des concours comme ça, le public c’est pas mal de personnes de l’entourage des artistes ou des groupes. Mais c’est ça qui est intéressant en fait car t’as tout à prouver ! Après, j’ai reçu un super accueil et ça restera une très bonne expérience !
C’est ce que j’allais te demander, tu en gardes un très bon souvenir alors ?
Oui, car j’ai eu l’occasion de faire 3 scènes. Pour nous, c’était un test autant avec le jury qu’avec le public. Il a fallu s’adapter aux différentes scènes, préparer les représentations, on n’avait pas fait tant de lives que ça donc c’est une expérience super positive et enrichissante !
Qu’est-ce qu’il s’est passé depuis ?
Le clip de Dunk est sorti pendant la période du Buzz Booster. J’ai posté également quelques freestyles sur Instagram. Mais avec le Buzz Booster, j’ai mis en pause l’album pour vraiment me concentrer dessus, j’avais envie de le faire à fond sinon ça ne sert à rien ! Il y a la finale nationale en mai qui approche d’ailleurs !
Qu’est ce qui influence ta musique, ton écriture ? Influences musicales, cinématographiques, artistiques ?
Je m’inspire beaucoup des choses, des situations du quotidien et plus particulièrement du comportement humain, c’est un truc qui me fascine ! Après musicalement, j’écoute du rap depuis toujours mais aussi de la variété de par mon entourage. Quand je dis rap c’est rap français car j’ai vraiment besoin de comprendre les paroles. Donc le rap américain peut m’inspirer mais seulement au niveau des flows, des instrus.
T’écoutais la Scred Co’ avant de les connaître ?
Ouais ! J’ai saigné les albums d’Haroun et de Mokless (Au Front et Le Poids des Mots). Mais la Scred, le groupe, je les ai vraiment écoutés il n’y a pas si longtemps que ça. J’ai commencé par écouter ce qu’il se faisait à l’époque où j’ai découvert le rap, Booba, Sniper ou Psy 4 de la Rime par exemple.
Quel est leur rôle aujourd’hui ?
C’est mes producteurs et éditeurs, c’est mon équipe. Ils font tout, tous mes projets rap passent par eux, autant musicalement que visuellement. J’aime leur manière de travailler, c’est scred mais c’est efficace. Après c’est en attendant que l’équipe s’élargisse mais pour l’instant on forme un noyau dur. Le noyau dur c’est Koma, Mokless et Fanny Polly ! Ils ont aussi un rôle de grands frères.
Comment qualifies-tu ton rap ? Si tu souhaites le qualifier.
C’est dur de faire ça, je n’aime pas trop mettre mon rap dans une certaine case. J’ai un son qui va sortir et le refrain ça fait « Y’a ceux qui appellent ça de l’égotrip, moi je préfère parler de rap conscient », donc on pourrait dire que je fais du rap conscient, parce que ce n’est pas faux mais en même temps c’est quoi le rap pas conscient ? Et puis, les gens associent souvent le rap conscient à un certain style de production. Au niveau des instrus, justement, j’ai envie d’explorer plein de choses!
Tu es toujours accompagnée de danseuses sur scène, c’est un moyen de garder un lien avec la danse ?
A vrai dire, je ne saurai pas faire autrement. La danse fait toujours partie de moi et de mon univers. Si j’apporte de la danse sur scène, c’est aussi pour marquer une différence, amener de l’originalité. Je n’ai pas envie de laisser les gens indifférents, j’ai envie qu’ils se souviennent. Alors je me dis que si j’arrive seule sur scène ça ne marchera pas.
D’ailleurs tu danses toujours ou tu te consacres plus au rap désormais ?
Je danse beaucoup moins qu’avant, j’ai transféré mon énergie et ma recherche de performance dans le rap. Donc je m’entraîne beaucoup moins qu’avant même si j’ai encore des projets uniquement liés à la danse. Je n’ai pas laissé de côté car comme je t’ai dit, je ne pourrais pas choisir entre les deux mais je donne plus d’importance et d’énergie au rap aujourd’hui.
Comment tu prépares, tu travailles tes représentations sur scène (avec les danseuses) ?
Je gère la trame et le rôle de chacune mais après on est une équipe ! On adapte les mouvements chorégraphiques par rapport à la musique. Cela dépend aussi si c’est pour un clip ou pour du live. En général, on reproduit la même chorégraphie pour les deux formats pour garder un fil conducteur visuel, même si on apporte toujours une version un peu différente pour la scène. Soit ça part du clip, soit ça part de la scène mais oui les chorégraphies sont écrites en fonction des textes.
Peux-tu nous parler de ton futur projet, qui doit sortir prochainement ?
L’album est bouclé mais c’est tout ce qu’il y a autour qui est à finaliser. Choisir le bon timing, une bonne communication tout en conciliant les dates de concerts qui se rajoutent au fur et à mesure, le Buzz Booster etc… Mais on a prévu de le sortir au printemps.
Il y a des thèmes que tu as abordé en particulier ? As-tu essayé des nouvelles choses ? Il y a des feats ?
Alors, il y a trois feats. Demi-Portion qui est déjà sorti avec un clip. Après, il y a Marion Napoli. Marion, c’est grâce à elle que j’ai rencontré la musique. Donc c’était obligé qu’elle soit en featuring sur mon projet et elle a également produit plusieurs sons de l’album. Et il y a aussi Tai Z de chez Y&W, je l’avais découvert quand il était tout jeune et j’avais pris une claque déjà à l’époque. J’ai appris par la suite que la Scred sont très bons potes avec Yonea & Willy. On s’est croisé avec Tai Z, on a commencé à freestyler et au final on en a fait un son ! Concernant les directions musicales, je ne peux pas donner une couleur à mon album, tu vas trouver autant d’instrus boom-bap que des instrus orientées trap, rock ou planantes. J’ai aussi apporté de la guitare ou du piano voix, je ne me suis pas arrêtée sur quelque chose en particulier, je me suis vraiment laissé une liberté totale à ce niveau-là. Mais pour faire simple, c’est un peu le bilan musical de mes 10 dernières années. Par exemple, il y a des morceaux qui ont 10 ans, je ne les ai jamais sortis donc ça me tenait à cœur de les mettre sur mon premier album. Cet album c’est Fanny Polly ! Je ne vais pas dire que c’est une carte de visite non plus, parce qu’il y a que le recto mais c’est un récapitulatif de ce que j’ai vécu humainement et artistiquement.
D’où le nom de l’album Toute une histoire ?
T’as capté ! C’est tellement dur de résumer ça en une phrase donc quand on me demande, je préfère dire c’est tout une histoire !
Toi en tant que femme : comment tu perçois les choses dans le milieu du rap ? As-tu remarqué une évolution des mentalités ?
Je suis partagée. Mon expérience avec le milieu du rap est encore assez récente. Mon expérience avec le hip-hop elle s’est faite plus avec la danse. Au Buzz Booster, en introduction d’un son j’avais parlé de ça : Si nous, on a choisi le hip-hop et la danse à la base c’est parce que c’est un milieu dans lequel on nous a toujours dit qu’on ne serait pas jugées sur notre physique, notre apparence, notre religion, notre sexe etc… Avec les hommes, il y a des inégalités physiques mais dans la danse et quand t’es une femme tu compenses par plein d’autres choses ! Pour moi, les meufs sont autant considérées que les mecs, il y a des battles homme/femme où tu ne vois aucune différence de niveau !
Et au niveau du rap ?
Pour revenir au rap, je suis consciente qu’il existe des clichés et qu’il y a des progrès à faire. Même si personnellement, je le ressens de moins en moins. Peut-être parce que j’arrive maintenant et qu’il y a 5 ans par exemple, je n’aurai pas eu le même accueil.
Parce que tu vois, si on compare, il y a toujours eu plus de gars que de meufs…
Bah ouais ! J’ai rencontré plein de gens qui m’ont dit « ça manque de meufs dans le rap » mais c’est normal, il y a combien de femmes qui rappent en France, comparé au nombre de gars ?
Peut-être parce qu’il y en a aussi beaucoup qui n’osent pas parce qu’elles se disent que c’est un milieu masculin ?
Pour ma part non, je ne me suis jamais dit ça. C’est fini de penser comme ça, après je parle pour moi et je ne sais pas vraiment pour les autres. Mais je ne me suis jamais dit que ça pouvait être un frein, au contraire c’est une chance ! Je me dis qu’il y a tellement peu de femmes, le public doit être demandeur. Jusqu’à maintenant c’est ce que j’ai ressenti, je suis dans cet état d’esprit, je me dis que les gens veulent des meufs, ils ne le savent pas encore c’est tout ! (Rires)
Donc toi, t’as jamais ressenti de mépris ou du manque de considération ?
Du mépris et du manque de considération il y en aura toujours, mais pas plus qu’ailleurs. Le seul truc que j’entends tout le temps et qui me saoule, c’est le terme « rap de meuf ». On m’a dit plusieurs fois « ouais, moi je n’aime pas le rap de meuf, mais toi ça va ! », cette phrase-là je ne la comprends pas vraiment.
Mais c’est quoi le « rap de meuf » ?
Mais voilà merci, c’est exactement ça ! Le « rap de meuf », c’est-à-dire ? Cela veut dire qu’on fait toutes le même rap, de Keny Arkana à Casey en passant par Shay ?
C’est comme si on disait du « rap de mec », ça ne voudrait rien dire…
Ouais voilà ! Le dernier qui m’a dit ça, je lui ai demandé ce qu’il pensait du « rap de mec ». Il m’a répondu ça dépend, il y a plein de styles différents, je lui ai dit que c’est exactement pareil ! Le rap n’a pas de sexe !
Malgré ça et ça vient peut-être de ces clichés-là, je trouve qu’on veut souvent mettre une femme qui rappe dans une certaine case…
Je trouve aussi, soit tu dois être un « bonhomme » et on te met dans la même catégorie que Diam’s ou Keny Arkana soit tu dois être sexy, sulfureuse comme les cainris. Il n’y a pas encore vraiment de juste milieu, mais ça vient avec le temps.
Pour conclure sur ce point, comment tu vois la place des femmes dans 5/10 ans dans le paysage rap français ?
Je pense qu’il y en aura beaucoup plus, avec plein de styles différents ! Pour moi le public est demandeur. Et comme tu l’avais dit, peut-être qu’il y en a qui s’autocensurent ou qui se boycottent elles-mêmes. Donc j’espère que la réussite de certaines donnera lieu à la candidature de nombreuses autres, et que ça les aidera à prendre confiance en elles et à se dire qu’elles ont leur place dans le rap, que cette place elles la méritent autant que les hommes et qu’il n’y a pas de raison contraire à ça.
© Photos : Cebos Nalcakan / Margaux Birsch / MarOne / L’Insolente Prods